Les effets des changements climatiques sur les insectes ravageurs actuels et futurs en Ontario
Tracey Baute, entomologiste des grandes cultures, MAAARO
Les changements climatiques auront un impact direct sur les insectes ravageurs. Étant donné que les insectes sont des organismes à sang froid, la température exerce un effet direct sur eux. Les insectes qui se nourrissent de végétaux dépendent donc de la présence de plantes hôtes pour survivre. On connaît certains des effets que les changements climatiques auront sur les populations de ravageurs, mais bien des aspects de tout cela demeurent encore inconnus, ce qui rend plus difficile de prédire les effets de leur activité. Voici quelques-uns seulement des facteurs qu’il faudra prendre en compte à l’avenir :
1) Hivers moins rigoureux
En moyenne, nos hivers deviennent de plus en plus doux. Bien sûr, il y a encore des tempêtes importantes qui donnent de grandes quantités de neige. Mais si on examine les tendances dans les moyennes des températures hivernales au cours de la dernière décennie, les hivers ont été plus courts et plus doux. Il y a eu peu de périodes prolongées de temps très froid néfaste pour les espèces passent l’hiver ici.
Les hivers plus doux accroissent la survie des espèces qui hibernent et entraîneront vraisemblablement une hausse des ravageurs de début de saison, particulièrement si l’on sème plus hâtivement des cultures dont ils peuvent se nourrir. De nombreuses espèces de coléoptères passent l’hiver dans les boisés, la litière de feuilles ou dans les deux centimètres supérieurs des résidus de cultures. Parmi eux se trouvent des ravageurs comme la chrysomèle du haricot, le criocère des céréales, le charançon de la graine du chou et les altises, que l’on prévoit devenir plus problématiques à l’avenir en raison de leur taux de survie à l’hier qui va augmenter.
Les hivers plus doux vont aussi augmenter la probabilité qu’une plus grande quantité d’insectes passent l’hiver sous nos latitudes. Les insectes ravageurs qui migrent normalement vers les États américains plus chauds ont déjà commencé à hiverner plus au nord avec succès. On a pu déjà le constater avec le ver-gris noir et la légionnaire uniponctuée, qui hivernent plus près de chez nous en Ohio, ainsi que dans les États de New York ou de Pennsylvanie. Des modèles prévoient aussi que le ver de l’épi du maïs sera également en mesure de survivre à l’hiver dans la région des Grands Lacs en raison des changements climatiques (Diffenbaugh et coll. 2008). Le perce-tige tacheté est un autre ravageur qui risque d’étendre sa présence en Ontario (Taylor et coll. 2018).
2) Saisons de croissance hâtives et plus longues
Les producteurs ont déjà observé que les cultures sont semées plus tôt qu’auparavant et que les saisons de croissance sont plus longues. Une partie de cette situation est liée à l’amélioration génétique des cultures et aux nouveaux traitements des semences qui protègent ces dernières ainsi que les plantules lorsque les conditions ne sont pas idéales. Toutefois, des conditions de semis plus hâtives et optimales sont aussi associées au fait que les cultures hôtes sont semées plus tôt, offrant ainsi aux insectes ravageurs de début de saison qui ont survécu à l’hiver la possibilité de trouver facilement des sources de nourriture et de se propager.
On s’attend aussi à ce que les saisons de croissance soient plus longues avec la hausse des températures, ce qui va accélérer le rythme de développement des insectes et réduire le temps requis pour traverser leurs stades vitaux, de l’œuf ou de la larve jusqu’à la forme adulte. Par conséquent, certains insectes auront une génération de plus par année. On prévoit ainsi que la cicadelle de la pomme de terre devrait bénéficier chez nous d’une génération additionnelle par saison, surtout si elle arrive ici deux à trois semaines plus tôt que la normale (Taylor et coll., 2018).
Malheureusement, certains ennemis naturels sont plus vulnérables aux changements environnementaux, surtout ceux qui sont dits spécialistes et qui ont un seul ravageur comme hôte. Les parasitoïdes qui doivent passer un stade vital précis sur leur hôte pourraient se retrouver désynchronisés à cet égard et perdre leur possibilité de survivre jusqu’à la prochaine génération. Des températures plus élevées et des conditions plus sèches peuvent en outre être plus néfastes pour les ennemis naturels que pour les ravageurs. Il est possible qu’on se retrouve avec des déséquilibres entre les ravageurs et leurs ennemis naturels (Jeffs et Lewis, 2013).
Une intensification de la pression exercée par les insectes ravageurs ou une augmentation du nombre de générations par saison de croissance pourraient entraîner une hausse du nombre d’applications de pesticides par saison. Des températures diurnes plus chaudes pourraient avoir un effet négatif sur l’efficacité de certains pesticides. Dans les deux cas, cela peut mener à des résistances aux pesticides. On commence déjà à observer que des populations de ravageurs résistants étendent leur présence du sud des États-Unis jusqu’en Ontario. On aura alors davantage besoin de nouveaux pesticides appartenant à différentes familles chimiques pour pouvoir les utiliser en alternance. Une hausse de l’utilisation des pesticides pourrait aussi avoir un effet négatif sur les ennemis naturels, selon les familles chimiques qui seront utilisées.
3) Nouvelles cultures ou changements dans le choix des cultures semées
Le type de ravageurs qui s’adapteront le mieux aux changements climatiques dépend directement de ce qui adviendra de leurs plantes hôtes. Plus un ravageur s’attaque exclusivement à une ou deux cultures hôtes, plus il est vulnérable à tout changement apporté à ces cultures. On prévoit, par exemple, que la chrysomèle du haricot s’adaptera très bien au futur climat escompté de l’Ontario. Par contre, le soya risque de ne pouvoir être cultivé que dans certaines régions, ce qui réduira considérablement la propagation de la chrysomèle du haricot (Berzitis et coll., 2014).
On prévoit aussi que les espèces invasives seront plus préoccupantes puisque notre climat va ressembler davantage à celui de leur pays d’origine. Nous avons déjà été témoins de plusieurs introductions d’insectes invasifs au cours des deux dernières décennies. Leur chance de s’établir avec succès augmente si nous introduisons aussi leurs plantes hôtes à titre de nouvelles cultures. L’évolution des tendances de consommation va aussi influer sur ces choix. Ainsi, l’augmentation des superficies de chanvre en raison de la hausse de la demande pour le cannabis ainsi que l’accroissement de la culture du houblon pourraient avoir un effet sur les populations de la pyrale du maïs, puisque bon nombre des cultures hôtes de ce ravageur sont de plus en plus présentes dans le paysage agricole de l’Ontario.
4) L’imprévisible et les événements extrêmes
Il devient particulièrement difficile de prévoir l’évolution des populations d’insectes ravageurs lorsqu’il est question d’événements extrêmes. Les changements climatiques ne sont pas uniquement une question de « réchauffement planétaire ». Il s’agit aussi d’événements climatiques extrêmes comme de gros orages au printemps qui apportent des précipitations records de pluie, d’épisodes de vents plus violents qui affaissent les cultures déjà levées ou de canicules sans pluie en juillet et août. Il peut s’agir aussi de journées de record de températures élevées en janvier et février qui font sortir les insectes de leur dormance sans qu’ils aient de nourriture à leur portée. Il deviendra très difficile de prévoir les effets que ces événements auront en présence de multiples facteurs qui se manifestent au cours d’une même saison de croissance.
Plus on en apprend au sujet de chaque insecte et des besoins et limites de chacun d’eux, plus les prévisions pourront être précises. Ce qui est certain, c’est que les carrières en écologie, agronomie, entomologie, phytopathologie, phytotechnie et modélisation climatique vont demeurer indispensables à l’agriculture de demain.
Références
Berzitis, E., J. Minigan, R. Hallett et J. Newman, Climate and host plant availability impact the future distribution of the bean leaf beetle (Cerotoma trifurcata), dans Global change biology. 20. doi: 10.1111/gcb.12557, 2014
Diffenbaugh, N. S., C. H. Krupke, M. A. White et C. E. Alexander, Global warming presents new challenges for maize pest management, dans Environ. Res. Lett., 3, 044007, doi:10.1088/1748-9326/3/4/044007, 2008.
Jeffs, C. et O. Lewis, Effects of climate warming on host–parasitoid interactions, dans Ecological Entomology, 38 (3), 209 –218. https://doi.org/10.1111/een.12026, 2013.
Taylor, R.A.J., D. A. Herms, J. Cardina et R.H. Moore, Climate change and pest management: Unanticipated consequences of trophic dislocation, dans Agronomy, 8, 7, doi:10.3390/agronomy8010007, 2018.
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Tracey Baute, Field Crop Entomologist, OMAFRA
Climate change will have a direct impact on insect pests. Since insects are cold blooded, they are directly influenced by temperature. Those that feed on plants also rely on the availability of their host crops to survive. Though we have an idea of some of the impacts climate change will have on our pest populations, there are many unknowns that will make pest predictions more difficult. Here are just some of the factors we need to consider going forward:
1) Milder Winters
On average, our winters are getting milder. Yes, we still will have major storms that result in lots of snow. Looking at the average trends of winters over the last decade, we have experienced shorter and milder winter conditions. There are few extended periods of frigid temperatures that are harmful to overwintering species.
Milder winters increase the overwintering success of pests and will likely result in an increase in early season pests. Especially if we plant the crops they rely on earlier too. Many species of beetles overwinter in woodlots, leaf litter and the top 2 cm of crop residue. This includes pest species like bean leaf beetle, cereal leaf beetle, cabbage seedpod weevil and flea beetles which are predicted to be more of an issue in the future due to increased overwintering success.
Milder winters will also increase the likelihood that more insects can overwinter here. Pests that normally migrate in from warmer US states are already starting to overwinter successfully farther north. We know this to be true for black cutworm and true armyworm which are overwintering closer to us in Ohio, New York or Pennsylvania but models predict that corn earworm will also be able to successfully overwinter in the Great Lakes region due to climate change (Diffenbaugh et al. 2008). Stalk borer is another pest that may be able to expand its range to Ontario (Taylor et al. 2018).
2) Early and Longer Growing Season
Producers know first hand that crops are going in earlier and that the growing season is getting longer. Some of this is due to improvements in crop genetics and newer seed treatments that protect the seed and seedling in less ideal conditions. But earlier, ideal planting conditions are also resulting in host crops being planted earlier. This allows the early season pests that are successfully overwintering to easily find their food source and thrive.
Longer growing seasons are expected as temperatures increase. This will also speed up insect development, shortening the time it takes for them to go through their life stages from egg or nymph to adult. As a result, we could see some pests squeaking in an extra generation per year. Potato leafhopper, for example, is predicted to go through an extra generation per season here, especially if it arrives two to three weeks earlier than normal (Taylor et al. 2018).
Unfortunately, some natural enemies are more sensitive to changes in their environment, especially specialists that rely on one pest for a host. Parasitoids that rely on a specific life stage of their host may become out of sync with it, decreasing their chance of survival to the next generation. Higher temperatures and drier conditions can also be more detrimental to natural enemies than the pests. We may experience an imbalance in pests to natural enemies (Jeffs and Lewis, 2013).
An increase in pest pressure or generations per season could result in an increase in the number of pesticide applications per season. Hotter daily temperatures could negatively impact the effectiveness of some pesticides. Both can lead to pesticide resistance. We are also already starting to see resistant pest populations expand their ranges from the southern US into Ontario. This will lead to a greater need for new pesticides from different chemical families to rotate with. Increased use of pesticides could also negatively impact natural enemies, depending on which chemical families are used.
3) New Crops or Changes in Which Crops We Grow
Which pests will thrive most in a changing climate depends directly on what happens to their host crops. The more exclusive the pest is to one or two crops, the more vulnerable they are to any changes that occur to the crop. Bean leaf beetle, for example, is predicted to do well in Ontario’s future projected climate, but soybeans may only be able to be grown in limited regions, which significantly decreases the success rate for bean leaf beetle (Berzitis et al. 2014).
Invasive species are also predicted to be more of an issue as our climate shifts to be more like their host countries. We have already experienced several invasive insect introductions over the last two decades. Their chance of success increases if we also introduce their host plants as new crop opportunities. Change in consumer trends will have an influence. For example, the increased acreage and current demand for hemp, cannabis, and hops may influence European corn borer populations as more of its many host crops become more prevalent in Ontario’s crop landscape.
4) The Unpredictable – Extreme Events
Where it gets more difficult to predict future pest trends is with the extreme events. Climate change is not just about “global warming”. It is about extreme weather events like significant spring storms that bring record rainfall. Stronger wind events that flatten standing crops. Extreme heat waves with no rain in July and August. Record warm days in January or February that can kick an insect out of dormancy to find no food to feed on. Predicting the influences these will have becomes very difficult once you factor in multiple events in the same growing season.
As we learn more about each specific pest and their needs and limits, predictions will become accurate. What is clear is that careers in ecology, agronomy, entomology, pathology, plant science and climatic modeling are likely to still be essential for agriculture in the future.
References
Berzitis, E., J. Minigan, R. Hallett, and J. Newman. 2014. Climate and host plant availability impact the future distribution of the bean leaf beetle (Cerotoma trifurcata). Global change biology. 20. doi: 10.1111/gcb.12557.
Diffenbaugh, N. S., C. H. Krupke, M. A. White, and C. E. Alexander. 2008: Global warming presents new challenges for maize pest management. Environ. Res. Lett., 3, 044007, doi:10.1088/1748-9326/3/4/044007.
Jeffs, C. and O. Lewis. 2013. Effects of climate warming on host–parasitoid interactions. Ecological Entomology, 38(3), 209–218. https://doi.org/10.1111/een.12026
Taylor, R.A.J., D. A. Herms, J. Cardina, R.H. Moore. 2018. Climate change and pest management: Unanticipated consequences of trophic dislocation. Agronomy, 8, 7, doi:10.3390/agronomy8010007.